La découverte des carnets d’Henry Pannier, atout précieux conservé jusqu’à présent par la famille, a également permis une nouvelle avancée dans la connaissance de cette maison encore si peu étudiée. Les informations qui y sont annotées telles que les noms des acheteurs, les prix d’achat, ou encore les noms des artisans ou artistes mais surtout les croquis des œuvres permettent d’appréhender d’une nouvelle manière l’étendue et la valeur de la production. Ils sont aussi l’occasion de découvrir de nouvelles œuvres jusqu’alors anonymes ou faussement attribuées car non signées, non estampillées ou non porteuses d’une étiquette, mais bel et bien reconnaissables grâce à la précision de ces dessins.
Dernières découvertes
Vente Christie’s du 12 novembre 2020
lot désigné comme suit : « A French Japonisme ormulu and chinese cloisonne enamel-mounted mahogany etagere-cabinet in the manner of Gabriel Viardot.Paris, late 19th century »
Vente Coutau-Bégarie du 28 novembre 2014
lot désigné comme tel :
« Cabinet en bois noirci, reposant sur un piètement à jarrets de lion stylisé, tablette à enroulement reposant sur la base, la partie supérieure, ouvrant à un tiroir et une porte ornée d’un panneau de laque du japon, au centre d’étagères. Vers 1900-1910 Etiquette au dos « Maison des Bambous. 170 Boulevard Haussmann » »
Il s’agissait vraisemblablement d’une étiquette collée par erreur.
Les cabinets inspirés de ceux d’E. Lièvre
L’influence japonisante de l’ornemaniste et ébéniste Edouard Lièvre (1828-1886) a eu une grande importance sur la production de meubles des frères Pannier.
D’autant plus que les dessins et modèles de l’artiste passèrent aux enchères en 1890 suite à son décès et que les frères Pannier se portèrent acquéreurs de certains lots.
C’est notamment son modèle de meuble cabinet dans le goût japonais, qu’il réalise vers 1878 et décline en plusieures versions qui fut à l’origine d’une série de cabinets réalisée par les frères Pannier.
Quatre exemplaires produits par E. Lièvre sont aujourd’hui connus. Deux sont conservés au musée d’Orsay, un autre à la BNF, un autre à la galerie Steinitz.
Edouard Lièvre, Meuble vitrine japonisant, vers 1878
Conservé au cabinet des médailles et antiques de la BNF
H : 198 cm, L : 134cm, P : 61cm
Edouard Lièvre, Cabinet sur piétement en bronze doré, vers 1880
Panneau central figurant « Baccara » peint d’après Jehan Georges Vibert
Conservé au musée d’Orsay
H : 211 cm, L : 111 cm, P : 57 cm
Edouard Lièvre, Meuble à deux corps : armoire sur table d’applique, vers 1877
Peinture à l’huile sur le panneau central d’Edouard Detaille figurant un guerrier japonais à cheval
Conservé au musée d’Orsay
H : 211 cm ; L : 111 cm ; P. 57 cm
Quant à la série produite par l’Escalier de Cristal, les carnets d’Henry Pannier nous apprennent que six versions ont été réalisées et vendues. Seulement quatre cabients ont pour l’instant été retrouvés. L’un d’entre eux est conservé au musée de l’Ermitage à Saint Petersbourg et provient de l’ancienne collection du Grand Duc Wladimir. Les trois autres sont passés récemment en vente aux enchères (cf. Bonhams, Daguerre et Lempertz).
Leur étude montre qu’ils diffèrent légèrement des originaux d’E.Lièvre. Le dessin est en effet, plus épuré et moins chargé en bronze. Les lignes du fronton ont été modernisées et les masques de monstre en bronze ornent les angles du piétement. De plus, l’utilisation du bronze pour les pieds a été remplacée par celle du bois. Chacun possède une variante, notamment du panneau ornant le centre, s’adaptant ainsi au goût et à la bourse de chaque commanditaire.
L’Escalier de Cristal, Cabinet orné d’une aquarelle de George Clairin, vers 1897
H : 205 cm, L : 115 cm, P : 66 cm
Conservé au musée de l’Ermitage à Saint Petersbourg.
Commandé par le grand duc Vladimir de Russie et placé au palais Anitchkov en 1897, résidence de l’Impératrie Maria Fedorovna (1847 – 1928)
L’Escalier de Cristal, Cabinet orné d’un panneau de laque d’époque Meiji présentant Juroujin, Dieu de la Longévité, vers 1895
H : 204 cm, L : 116,5 cm, P : 67 cm
Vente Bonhams du 4 décembre 2008
L’Escalier de Cristal, Cabinet orné d’un panneau en laque représentant une scène du théâtre de Nô, vers 1895
H : 208 cm, L : 118 cm, P : 66 cm
Vente Daguerre du 25 novembre 2013
© Annick et Didier Masseau, L’Escalier de Cristal le luxe à Paris, Editions Monelle Hayot, 2021
Expertise des bronzes
C’est grâce à une étude comparative des bronzes ornementaux que l’attribution de cette table a été réalisée.
On retrouve en effet les mêmes bronzes reproduisant un mascaron de chimère sur d’autres meubles dont l’attribution à l’Escalier de Cristal est certaine.
Notamment dans les angles de l’un des cabinets issu de la série réalisée d’après le modèle d’Edouard Lièvre.
Ainsi que sur le meuble vendu aux enchères chez Coutau – Bégarie en 2014 comme une réalisation de la Maison des Bambous. Il est important de remarquer également le bronze au centre du piétement représentant un dragon dont le modèle est repris sur la table japonisante aussi ornée des masques de monstre.
Cette table ne possède pas d’estampille, ni d’étiquette, il convient, néanmoins, de souligner la qualité d’exécution. Le choix des matériaux et la précision des sculptures sont caractéristiques de l’œuvre de Viardot qui multiplie les ornements sans jamais tomber dans la surabondance.
En effet, la qualité de réalisation, le grand raffinement du décor ainsi que le réemploi des mêmes ornements de bronze nous mènent à penser que ce meuble fut réalisé par le célèbre ébéniste à la demande des frères Pannier. De plus, Viardot bénéficiait d’un contrat aux termes duquel il était fournisseur de certains modèles exclusifs pour l’Escalier de Cristal.
La collaboration entre Charles Gallé et Emile Pannier
Ce pot couvert en céramique à couverte plombifère et décor sinisant reprend la forme d’un brûle-parfum traditionnel chinois sans en avoir réellement la fonction en raison de l’absence d’ouverture.
Il a été réalisé par Charles Gallé (1818 – 1902) peut-être en collaboration avec son fils Émile Gallé (1846 – 1904) pour la maison l’Escalier de Cristal dans la deuxième moitié du XIXe siècle et plus précisément entre les années 1872 et 1884, comme l’atteste l’étiquette déchirée au dessous. On peut y lire les noms de Pannier et Lahoche, directeurs de la maison entre 1852 et 1872, ainsi que l’adresse. À partir de 1872, le magasin est déplacé au 6 rue Scribe et 1 rue Auber par Émile Pannier qui continue l’affaire seul mais pour des raisons commerciales et de renommée, garde la même étiquette aux deux noms.
Nous pouvons supposer que ce modèle imitant un brûle-parfum fut réalisé par Charles Gallé, très certainement suite à une commande d’Emile Pannier, puisque ne l’on reconnaît pas une forme stylistique propre à celle de l’artiste. Néanmoins, deux autres modèles, identiques dans leur forme mais au décor différent sont connus et signés. L’un d’eux est passé en vente aux enchères en 2013 il est signé « Gallé Nancy », signature de Charles, l’autre est illustré dans le fond Émile Gallé du musée d’Orsay et présente les signatures d’Émile « E. Gallé déposé » et de Charles « Gallé Nancy » .
A partir de 1885, Émile Gallé faisait partie des nombreux artistes à collaborer avec l’Escalier de Cristal. Il réalisait des modèles d’objets d’art en cristal ou en pâte de verre qu’il signait pour la maison, qu’il considérait comme « une exposition permanente d’art ». On peut donc penser qu’avant son fils, Charles Gallé réalisait déjà des modèles pour les différents directeurs de l’Escalier de Cristal sans pour autant y laisser sa signature.
D’autres éléments permettent d’appuyer cette théorie. On retrouve, en effet, sur le marché un certain nombre de figurines en céramique très caractéristiques représentant un chat assis dont le corps jaune est ponctué de points et cœurs bleu marine et dont certains ont les têtes amovibles. Ils portent les signatures de Charles Gallé : « Gallé Nancy » ou encore « G.R » pour Gallé – Reinemer.
Ce nom correspond à celui du magasin de faïence et cristal que possédait la famille de son épouse Fanny Reinemer (avec qui il se maria en 1845) dans lequel il commercialisa sa production. Après l’obtention d’une mention honorable à l’Exposition Universelle de 1855, le magasin alors appelé « Veuve Reinemer et Gallé » change de nom pour « Gallé – Reinemer » et deviendra par la suite simplement « Gallé ».
En 2011, une paire de figurines similaire est passée en vente chez Aguttes. Cependant, ce n’est pas la signature du céramiste que l’on pouvait lire en dessous mais une étiquette de l’Escalier de Cristal sous la direction de Lahoche (1840-1852). La ressemblance des modèles permet légitimement de penser qu’ils ont été réalisés par le même artiste, Charles Gallé.
Il s’agit donc d’une nouvelle évidence de la collaboration entre Charles Gallé et l’Escalier de Cristal bien avant celle de son fils, Emile et d’Henry Pannier.