Les débuts : le cristal et le bronze doré
Marie Jeanne Rosalie Désarnaud (1775 -1842) ouvre vers 1808 son magasin dans les galeries du jardin du Palais-Royal avec son frère Philippe Auguste Charpentier (1781-1815), graveur de pierres semi-précieuses et de cristal de renom.
Le commerce acquiert rapidement prestige et renommée. En 1812, ils spécialisent leur production en associant le cristal taillé et le bronze doré dans la fabrication d’objets d’art et de mobilier à l’instar de la fameuse coiffeuse de la duchesse de Berry (musée d’Orsay). L’année suivante, le magasin se développe encore et ajoute à la vente de cristaux, de la porcelaine et des objets d’albâtre. C’est cette même année, qu’est installé un escalier surprenant avec des balustres en cristal qui deviendra l’emblème du magasin.
Seule propriétaire du magasin à la mort de son frère, en 1815, la veuve Désarnaud continue de faire prospérer son commerce. Elle vise une clientèle princière obtenant ainsi le brevet de « fournisseur des cristaux du roi ». Elle participe à l’exposition de 1819 au Louvre où elle est récompensée d’une médaille d’or pour les cristaux ornés de bronze. C’est durant cette exposition qu’elle présente la coiffeuse en cristal et en bronze doré accompagnée de son fauteuil à l’antique également en cristal.
Devenue femme fortunée, Marie Désarnaud cède en 1829 son entreprise à Jacques Boin, tailleur-graveur exerçant également au Palais-Royal.
L'association Boin-Lahoche et le développement des arts de la table
Au début des années 1830, Boin conserve le prestige attaché au magasin de la veuve Désarnaud attesté par la présence d’une clientèle royale et princière. Néanmoins, la nouvelle enseigne minore la mention « à l’Escalier de Cristal » au profit de « Boin tailleur et graveur sur cristaux ».
Peut-être en raison de difficultés commerciales, Boin s’associe en 1840 à un autre commerçant, Pierre-Isidore Lahoche qui contribue fortement au regain de prestige du magasin. Cette nouvelle association coïncide avec le développement du service à la Russe dans les repas français nécessitant de nouvelles pièces de service, véritable aubaine pour les deux commerçants qui s’engagent dans cette nouvelle voie. Ils participent ainsi en 1844 à l’Exposition des produits de l’industrie, remarqués par les journaliste qui ne manquent pas de souligner leur approbation pour la nouvelle production du magasin néo-rococo tant à la mode dans les années 1840. À la pointe de la mode, il est parvenu à incarner, auprès d’une clientèle élégante, ce qu’on peut appeler « le bon goût » à la fin des années 1840 et au début des années 1850.
L’arrivée de la famille Pannier aux affaires
En 1852, Pierre Isidore Lahoche décide de s’associer avec Emile Pannier, fils d’un faïencier, marié à sa fille Célina Lahoche.
Les années 1850 sont aussi le début des premières Expositions Universelles auxquelles le magasin participe assidûment entraînant ainsi l’accroissement de sa renommée en France mais également à l’étranger. Désireux de conquérir une clientèle internationale de plus en plus étendue Lahoche et Pannier n’hésitent pas à franchir l’Atlantique pour présenter leurs articles à New York où ils furent récompensés par une médaille d’argent en 1853. Ils sont également récompensés par une autre médaille d’argent lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1855 et d’une commande de Napoléon III. Ce dernier leur achète une coupe en cristal rubis taillé dotée d’un cornet en bronze doré.
Leur succès est dû à leur capacité à suivre la mode et le goût de leur temps. De plus, soucieux de toucher une clientèle toujours plus étendue, Lahoche et Pannier produisent aussi des objets d’art plus abordables notamment grâce aux nouveaux procédés comme la galvanoplastie. Le magasin permettait ainsi à cette clientèle plus modeste d’acquérir des objets de « bon goût » tout en imaginant appartenir à une catégorie sociale plus élevée.
L’Exposition Universelle de Londres en 1862, où leur production remporte une médaille de bronze, est la dernière à laquelle les associés participent ensemble. En 1863, Lahoche se retire des affaires. Émile Pannier resté seul responsable, garde le double nom quelques années encore afin de conserver la réputation dont bénéficiait Lahoche.
Émile Pannier et les bouleversements du Second Empire
L’Exposition Universelle de 1867 à Paris est un évènement très important pour Émile Pannier, puisqu’il s’agit de sa première participation seul. Pour l’occasion, bien qu’il garde encore le nom de son précédent associé, il a désormais inversé les patronymes, son nom précédent désormais celui de Lahoche.
L’Escalier de cristal y obtient une nouvelle fois une médaille de bronze et fait l’objet de tous les éloges. Ainsi peut-on lire dans le catalogue de l’exposition : « Chaque exposition est l’occasion d’un triomphe pour l’Escalier de cristal ; sa réputation semble ne pouvoir plus grandir, et il pourrait prendre cette fière devise des maisons de vieille noblesse : je maintiendrai. Mais en industrie, maintenir, c’est progresser. M. Pannier-Lahoche, son jeune et habile directeur, le sait et le prouve. Les vitrines qui lui ont été accordées au palais de l’Industrie sont trop étroites pour contenir tous les chefs-d’œuvre sortis de ses ateliers. Il a organisé dans ses magasins du Palais-Royal une exposition permanente qui permet mieux de juger les ressources et l’importance de sa maison. C’est là que se dressent dans tout leur éclat ces services de tables complets en porcelaines et cristaux décorés, avec surtouts montés en bronze doré et vieil argent, dont la maison s’est fait une spécialité […] ».
La grande qualité de sa production apporte au magasin une clientèle princière plus étendue. On y compte désormais, le tsar, l’empereur d’Autriche, les rois d’Espagne, du Portugal, de Prusse, de Hollande, les ducs de Wurtemberg, ou encore les princes d’Orange et de Galles.
Déménagement du magasin
Après presque 70 ans d’existence et la succession de quatre propriétaires différents, le magasin de l’Escalier de Cristal est déménagé dans le nouveau quartier du baron Haussmann, en face du grand opéra encore en construction, aux 6 rue Scribe et 1 rue Auber en 1872. Conscient de l’importance du fameux escalier de cristal, véritable emblème du magasin, il est également déplacé au nouvel emplacement. Néanmoins, les gravures publiées dans les journaux de l’époque, montrent qu’il ne présente désormais qu’une seule volée au lieu d’une double révolution. Le nouveau magasin, plus vaste que celui de la galerie du Palais-Royal, permettait une production plus étendue et une exposition plus structurée s’apparentant à celle d’une demeure privée, fidélisant ainsi encore davantage la clientèle.
Gravure de la façade du magasin à l’angle de la rue Auber et de la rue Scribe dans le nouveau quartier de l’opéra.
Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris
Les frères Pannier, derniers propriétaires
Émile Pannier cède le magasin en 1885 à ses deux fils Georges (1853-1944) et Henry (1855-1935) qu’il avait formé. Créateurs de tendances, ils parviennent à maintenir, dans le domaine de la décoration, une tradition de haute qualité, en s’adaptant parallèlement aux modes du jour. Très créatif, c’est à Henry que l’on doit de nombreux modèles de création et un plus grand succès de la production dans le marché actuel.
Toujours dans la tradition du magasin depuis ses débuts et ne possédant pas d’atelier au sein de l’entreprise, les frères Pannier font appel aux meilleurs artisans et artistes pour la réalisation de la marchandise. En cela, les carnets d’Henry sont une véritable source d’informations. On y retrouve les noms des collaborateurs, celui des clients ainsi que des dessins très précis des œuvres, permettant des attributions certaines en l’absence de signature. Cependant, il n’y figurent que les objets créés pour le magasin et non pas les œuvres déposées, à l’exception de celles imaginées par Émile Gallé, seul artiste posant sa signature à côté de celle de l’Escalier de Cristal.
Le japonisme
Après la participation du Japon à l’Exposition Universelle de 1867 et la découverte de son art si différent des critères traditionnels européens, un véritable engouement se manifeste. La production artistique européenne suit alors cette mode et de nombreux artistes et ébénistes se spécialisent en créations japonisantes, citons Lièvre, Viardot ou encore Rousseau pour la verrerie. Les frères Pannier trouvent dans cette nouvelle mode l’occasion de diversifier leur production. Henry utilise notamment les estampes japonaises dont il reprend les motifs parfois de manière identique, ou en s’en inspirant, pour servir de décor à certaines œuvres en céramique ou en verre.
La production de meubles
Le mariage de Georges avec Julie Damon, héritière de la célèbre maison de commerce de meubles Damon-Kriege ainsi que le déménagement dans des locaux plus spacieux fut profitable à l’idée de création de meubles.
Dès 1891, l’Escalier de Cristal apparaît dans l’almanach Didot-Bottin pour la première fois dans la rubrique « Fabrication et commerce du meuble. Meubles de fantaisie et petits meubles ».
Les carnets d’Henry Pannier permettent d’avoir une connaissance presque exhaustive de la production. On constate qu’une large part concerne la reprise de meubles XVIIIe ou de style, encore très en vogue à la fin du XIXe siècle.
Néanmoins, on y voit aussi des meubles de création inspirés par la mode japonisante. Il paraît nécessaire de souligner l’importance de l’influence d’Édouard Lièvre dont certains dessins et modèles, vendus lors de sa vente après décès en 1890, furent acquis par les frères Pannier. Véritable source d’inspiration pour certaines des créations d’Henry Pannier, c’est un modèle en particulier qui fut à l’origine de la série de six cabinets japonisant aujourd’hui considérée comme leur production la plus connue et la plus aboutie. Quatre d’entre eux ont aujourd’hui été retrouvés, un au musée de l’Ermitage à Saint-Petersbourg acheté par un client russe, le Grand Duc Wladimir, trois autres passés en vente aux enchères. Le dessin est plus épuré et moins chargé en bronze, et chacun possède une variante s’adaptant ainsi au goût et à la bourse de chaque commanditaire.
On lit également dans les carnets la participation de grands noms de l’ébénisterie de la fin du XIXe siècle tels que Gabriel Viardot ou encore Louis Majorelle, preuve encore de l’importance du magasin sur la scène artistique de cette fin de siècle.
L’Escalier de Cristal, d’après un modèle d’Edouard Lièvre,
Meuble japonisant
acquis par le Grand Duc Wladimir
et conservé au musée de l’Ermitage à Saint-Petersbourg
Fermeture du magasin
L’Escalier de Cristal, doit sa fermeture aux évènements qui viennent bouleverser le début du XXe siècle et la mort subite de l’héritier principal.
En effet, les deux frères avaient jugé que Jean Pannier, le fils d’Henry n’était pas capable de reprendre la direction par son manque de compétences et de goût pour les arts. A contrario, Robert, le fils de Georges était tout destiné à cette reprise grâce à la formation commerciale qu’il avait reçu et ses compétences artistiques. Malheureusement, il meurt en 1907, alors qu’il n’était âgé que de 22 ans.
De plus, bien que jusqu’à présent Henry et Georges suivent les modes afin de répondre au goût de leur clientèle, on constate que les lignes de la production n’évoluent pas vers le style Art Nouveau et encore moins celles de l’Art Déco à partir des années 1920. En effet, la décoration qui tend à s’épurer avec l’avènement ne correspondait pas à l’esprit des frères Pannier.
Enfin, la Première Guerre mondiale ainsi que la Révolution Russe de 1917 vient mettre à mal le commerce du luxe et surtout la clientèle fortunée du magasin en grande partie composée de l’aristocratie russe.
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